Maltraitance
Je réalise mon premier stage à l’hôpital en service de chirurgie orthopédique.
Mme B. est arrivée le 12 février. Cette dame de 97 ans est tombée dans la maison de retraite où elle séjourne. Le col du fémur fracturée elle est rapidement opérée. Communiquer avec elle est très difficile car elle est atteinte de troubles cognitifs importants. Elle gémit toute la journée et parfois la nuit. Elle pleure aussi. J’ai vu ses larmes sillonner sur ses joues ridées.
Lundi 16 février 2010. 8 h 00 du matin. Madame B. a gémi toute la nuit. Elle a empêché de dormir les deux dames qui partagent sa chambre. Ce matin là je suis en binôme avec Juliette une aide soignante, la quarantaine, les cheveux bruns attachés en chignon. Ses traits sont tirés, son visage est pâle, son regard triste et inexpressif. « Ca va Juliette ? » Elle me répond désabusée et ironique : « Comme quelqu’un qui a très envie de travailler ».
Le ton est donné… Pour résumer, Juliette passe sa journée à manger des tartines de Nutella à l’office. Elle travaille un peu quand elle y pense et se traine avec nonchalance dans les couloirs du service. Blasée, aigrie, elle semble ne plus rien attendre de la vie. Ni joie, ni peine. Rien ne l’émeut, rien ne la réveille, rien ne l’intéresse.
Juliette rentre dans la chambre de Madame B. Sans frapper. Comme à son habitude. Exaspérée, le regard haineux, elle se penche au dessus du lit de Madame B. Et tout en lui hurlant dans l’oreille Juliette saisit le visage de la vieille dame entre ses deux mains et lui secoue violement la tête de droite et de gauche. « La nuit il faut dormir Madame Bertrand !! » dit Juliette. « Vous voyez bien que vous n’êtes pas toute seule dans cette chambre !! : vous avez deux voisines et vous les empêchez de dormir !! » Elle secoue son visage comme on jouerait avec la tête d’un pantin de chiffon.
Choqué, j’assiste à cette scène sans oser intervenir. Mes mains sont moites. Mon cœur bat. Médusé, paralysé par la scène à laquelle je viens d’assister je n’ai rien dit à Juliette. J’avale ma salive. Je baisse les yeux. J’ai honte. J’ai senti la culpabilité me ronger et l’indignation m’envahir. Mes yeux ont eu du mal à croire ce qu’ils ont vu. Je n’ai rien dit et je me suis senti lâche. Mais je ne savais pas à qui parler. J’évoque alors le problème avec mon tuteur de stage de retour à l’école. C’est bien d’en parler me dit-il mais il est maintenant trop tard quoi qu’il en soit. La prochaine fois il faut immédiatement en parler, si vous attendez, c’est foutu. Ne rien dire c’est cautionner de tels actes, c’est légitimer la maltraitance. Depuis ce jour, je jura que l’on ne m’y reprendrais plus ...