J’ai flingué ma MSP
Deuxième stage. Première MSP. Qui peut se vanter d’avoir oublié sa première MSP , cette fameuse “Mise en Situation Professionnelle” tant redoutée par tous ces futurs aide-soignants ?
Pour les néophytes, j’explique : Une MSP c’est un examen de mise en situation pratique où vous réalisez un soin (exemple une toilette) devant au moins deux examinateurs (des cadres de santé) qui observent vos moindres faits et gestes et vous assassinent à coups de regards tueurs, de mines désappointées et de froncements de sourcils.
Tout est noté : gestes techniques, pertinence de la prise en charge, communication avec le patient, hygiène et j’en passe ... Ce grand moment tord boyaux qui nous a tous plus ou moins torturé le corps et l’esprit m’a laissé un souvenir indélébile.
Je n’ai pas oublié la tête de mon patient, Monsieur Marcel P. Lui en revanche aura oublié ma trombine : il était presque aveugle. La grande messe du soin consistait ce jour là à lui donner une douche ... Je n’oublierais pas l’air suspicieux du cadre du service et de mon formateur qui m’observaient comme un animal bizarre pendant la progression et le déroulement de mon soin. S'il y a des personnes sûres d’elles en toutes situations et maîtrisant avec une dextérité déconcertante l’art de magner le gant de toilette en toutes circonstances ce n’était pas mon cas ce jour là.
C’était la première fois que je lavais un aveugle obèse et quasi dément dans une maison de retraite sous le regard inquisiteur et pour le moins perturbateur de deux jeunes femmes en tunique blanche. J’ai peut-être été dérangé par sa nudité face à ces deux femmes ... Surtout lorsqu’il arbora une puissante érection ...
N’ayant jamais eu d’autres précédents en la matière, je me laissa aller dans un vent de panique grandiloquent. Je n’aurais jamais de mots assez assassins pour “remercier” la très sympathique cadre de la maison de retraite de m’avoir filé dans les pattes ce malheureux résident. Une aide soignante m’avait confié mais bien trop tard : “de toute façon quand il connaît pas les gens, Marcel, il panique !” Alors sous la douche tu as du te marrer mon petit gars !”
En effet ce jour-là : il a paniqué. Et moi ce jour là vu que j’étais aussi paniqué : on a paniqué à deux, dans la douche. Sous le regard réprobateur de mes deux examinatrices j’ai donc accumulé les fautes, les oublis, débordé que j’étais par l’émotion, le stress, l’angoisse, enfin tout, quoi ... Le pire des cauchemars ne m’avait jamais fait autant transpirer. Je finis donc tout auréolé ... sous les dessous de bras. J’ouvrais les yeux à grand peine tant les gouttes de sueurs salées me bouffaient les pupilles ...Résultat : je me suis vautré comme un vieux cheval de courses qui a loupé une haie. Avec une note au ras des pâquerettes. Mais comment cela pouvait-il en être autrement ma foi ... ! J’avais livré là un soin certes efficace (l’aveugle était propre : la moitié d’un flacon de “Tahiti douche” y était passé ...) mais peu orthodoxe dans sa pratique hygiéniste ...
Le pauvre homme ne s’en voulait pas de m’avoir mis dans un beau pétrin : la tête lui manquait tellement ... J’en voulais surtout à ce cadre vicieux de m’avoir ainsi sacrifié injustement sur l’autel du soin ... Pour elle, depuis le début du stage, elle pensait que je n’étais pas fait pour ce métier ... C’est peut être pour lui prouver le contraire par défi que j’ai fini mon année de formation comme major de promo. Comme quoi cette expérience avait eu du bon et avait révélé ce que je savais déjà : l’échec est formateur et la vexation est motivante et mobilisatrice ... Cette expérience m’aura appris certainement que les meilleurs soignants sont souvent ceux qui s’émeuvent et rougissent, ceux qui ont les larmes aux yeux attendris par les malheurs du monde, ceux qui se trompent et se remettent en question. Le soignant sûr de lui, inébranlable dans ses baskets que les émotions n’atteignent point est souvent celui qui me glace et m'effraie parfois par son manque d’humanité car il laissera la porte de la maltraitance mécanique s’ouvrir plus facilement à lui ...