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Journal d'un "être" soignant
2 janvier 2015

Visite des familles

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Parlons un peu des familles...

Il y a celles que l’on ne voit jamais auprès de leurs proches et qui un jour débarquent fièrement, l’air hautin et qui découvrent ce qu’est une maison de vieux ... Ils arrivent avec leurs petites idées stéréotypées, leur vision souvent négative sur la gériatrie. Ils jugent, fustigent, critiquent avec dédain souvent. Ces petits enfants que l’on ne voit jamais et que l’on croise un jour comme ça au détour d’une chambre, qui se souviennent soudainement qu’ils ont un ancêtre qui sèche à l’hospice ... Ils font une apparition furtive, c’est tout. Juste pour se donner bonne conscience, enfin juste un peu. Rassurez-vous : vous ne les reverrez plus ensuite. Quelques fois ça vaut mieux. Ce seront eux qui diront après que l’ancien se sera refroidi : “Nous, on passait le voir tous les jours à l’hôpital !” En revanche s’ils ne passent jamais ils ne se gênent pas pour asséner aux visages des soignants, critiques et remarques désobligeantes ... “ Oh ! ils ne t’ont toujours pas mis ta superbe robe vert émeraude ... La belle avec les petits volants ! Eh bien non, ils ne l’ont pas mis la robe émeraude ... Car c’est une vraie chienlit, inadaptée aux contraintes de l’hôpital et au rythme effréné des toilettes cette robe vert émeraude. L’aide soignante ne peut pas passer une heure à se gratter la tête pour comprendre comment s’enfile une robe tarabiscotée façon “autant en emporte le vent”. Non, le soignant pressé voit d’abord le côté pratique, le vêtement rapidement enfilée et rapidement enlevé.

Il y a ceux qui disent aussi : “Mamie nous a dit qu’on lui fait mal quand on s’occupe d’elle, que les soignants sont brutaux avec elle.” Moi je sais que tout le monde est doux et respectueux avec la petite grand-mère. Elle est juste démente, voire limite hystérique. Quand on s’occupe d’elle, elle nous arrache la peau avec ses ongles, nous crache à la tronche, nous déchire la blouse, nous insulte. Pire qu’une scène de l’exorciste version 3ème âge. Et on ne lui en veut pas. Elle est juste démente. On fait ce que l’on peut pour la maîtriser, avec respect, sans maltraitance en gardant notre calme.

Pas facile pour nous quand elle nous empêche de la retourner sur le côté pour la laver alors qu’elle baigne dans ses selles. Pas facile à ce moment là de lui faire lâcher la barrière quand elle a la main crispée dessus, qu’elle hurle au secours, qu’elle cherche à nous mordre et qu’elle nous enfonce les ongles dans la peau. Et c’est dur. Sûr que pour la petite grand-mère aussi ce n’est pas l’apothéose. Pour elle aussi le soin frôle avec le cauchemar. Peut-être nous perçoit-elle comme de véritables bourreaux ... Mais cela personne ne le sait. Personne ne le voit, certainement pas les familles.

Je me souviens un jour d’une anecdote bien significative ... La petite fille de Madame Note est venu voir sa grand-mère. Elle courrait partout pour qu’un soignant s’occupe de mémé qui n’avait pas eu son Voltarène sur son poignet difforme. Elle vient jamais la petite fille et les autres jours elle s’en contrefout si sa grand-mère a eu sa crème anti-inflammatoire. Être vieux ce n’est pas à la mode. Les week-end, elle préfère sortir en boîte. Mais ce jour là, il y a urgence et si le soignant ne vient pas immédiatement et sans délai, ça peut tourner au scandale.

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Il y a ceux qui arrivent endimanchés, bien engoncés dans leurs vêtements bourgeois dernier cri. Ce jour là, un neveu tout habillé de blanc comme s’il revenait d’une soirée de chez Eddy Barclay et fraîchement débarqué de la Riviera façon “Nice, Baie des Anges” vient voir si sa vieille tante a enfin déposé les armes. Eh bien non. Elle respire encore la vieille tante ... Elle est en fin de vie, ressemble davantage à une future morte qu’à un vivant en sursis. Elle aussi est tout en blanc, vêtue de sa chemise d’hôpital avec sa blancheur immaculée. Elle n’a plus que la peau sur les os, recroquevillée dans son lit, totalement apathique, plongée dans un semi coma : la vision de son corps décharné et squelettique me rappelle un documentaire historique terrifiant où l’on voyait les corps de déportés entassés dans la cour d’un camp d’extermination. Le neveu dandy, tout de blanc vêtu, là, ça lui fait un choc : c’est ça une vieille qui meurt dans son lit ? Pas très “smart” la gériatrie. Alors ce spectacle de déchéance il supporte plus le neveu. Du coup : il va voir le médecin et lui demande si on pourrait pas accélérer tout ça, histoire d’abréger les souffrances et ainsi toucher plus vite l’héritage... C’est pas beau à voir la mort qui arrive.

Il y a aussi les familles présentes. Très présentes. Trop présentes. C’est beau l’esprit de famille ça fait chaud au cœur de voir le malade entouré comme ça. Mais certaines fois c’est trop. Je me souviens de cette famille d’origine espagnole. J’entre dans la chambre. Quinze personnes agglutinées autour du malade comme des mouches sur un gâteau de miel. Ils parlent fort, rient, s'esclaffent, s’agitent, gesticulent, s'interpellent. On se croirait dans un spectacle de flamenco. Le grand-père au teint jaune cireux est rongé par un cancer en phase terminale. Il est en soin palliatif. Il est entré pour se reposer d’abord puis finalement pour mourir. Au bout de quelques jours il est épuisé. Un jour c’est sa femme, une tante à la voix perçante, la fille au rire niais, son mari, un cousin à grosse voix façon Luis Mariano et trois ou quatre amis envahissants qui sont à son chevet. Le lendemain ce sont les deux fils avec leurs quatre gosses turbulents qui grimpent avec leurs baskets terreuses sur le lit, le beau-frère qui rit fort, sa femme et un neveu très bavard qui se succèdent auprès du malade. Chaque jour qui passe la chambre de Monsieur Sanchez est prise d’assaut. La famille est pire qu’une horde d’ouvriers qui occupe une usine en grève. Au bout de quelques jours le cadre intervient histoire de remettre tout ce beau monde à sa place. Nous sommes à l’hôpital tout de même. Nous n’organisons pas des soirées paella ...

Il y a les familles pour qui vous êtes tout, sauf l’aide-soignant. Un homme pensez-donc ça ne peut pas être aide-soignant ! Vous entrez dans la chambre et immédiatement le patient s'esclaffe :

“Bonjour docteur, ça tombe bien je voulais vous parler !

- Désolé je ne suis pas le docteur ...

- Ah pardon ! Alors vous venez me faire marcher ?

- Moi, non. Pourquoi ?

- Mais ... Vous n’êtes pas le kiné ?

- Non, désolé ! - Mais alors si vous n’êtes pas le kiné, pas le docteur, pas l’infirmier ... Vous êtes qui au juste ?

- Aide-soignant ! Lisez c’est marqué en grosses lettres bien moches sur ma blouse ..."

Il y a aussi les familles pour qui rien ne va. Mais alors RIEN DU TOUT ! Je me souviens de cette femme dont les 3 filles étaient là dès 11 h 30, et faisaient le pied de grue dans la chambre pour ausculter dans les moindres détails tous les dysfonctionnements de l’hôpital public. L’eau du robinet coule trop lentement, l’eau chaude est trop froide, l’eau froide est trop chaude, le volet de la fenêtre grince quand on le remonte, les bols de soupe ne sont pas assez pleins, les tranches de pain sont trop fines, la télé est placée trop haute sur le mur, le lino est trop vert, le gros spot qui éclaire la cour est allumé jour et nuit, les plateaux sont trop petits, le repas est froid, le matelas du lit est inconfortable, les soignants parlent trop fort la nuit, l’infirmière fait la tronche ... Allez promis j’arrête. Mais je vous rassure la liste n’est pas exhaustive ... Les filles ont écrit une lettre de 10 pages au directeur, ça valait bien ça, pour lui faire part de leurs revendications (nombreuses) et de leur mécontentement (certain). Oui, en effet, le service est indigne du “Ritz”. Oui, mais vous n’êtes pas au “Ritz”, Madame ! Ici c’est juste l’hôpital public ...

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