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Journal d'un "être" soignant
3 janvier 2015

Libido et Alzheimer

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Je réalise un stage dans un Cantou. Traduisez : “Centre d'Activités Naturelles Tirées d'Occupations Utiles”. Cherchez pas.

Personne n’aurait pu trouver d’autre définition plus simple ...Une définition un tantinet bien pensante et naïve qui contraste avec la réalité dure et froide du Catou. Comprenez plutôt : une unité fermée pour personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer et autres démences frontales.

Cela fait 15 jours que je vis dans cet univers de fous, dans ce monde sans queue ni tête, où déambulent du matin au soir des fantômes sans mémoire, des êtres vides qui ont tout oublié. Un mois avec 12 personnes âgées totalement démentes et parfois violentes, torturées à plus ou moins haut degrés par l’Alzheimer.

Dans nos 12 résidents il y a Monsieur et Madame Letendre. 65 ans de mariage. Respectivement 87 et 89 ans ils sont tous deux atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade assez avancé. Ils formaient un couple très aimant et très proche. Monsieur Letendre, avec sa belle chevelure grise et ses yeux bleus, le regard fixe perdu dans le lointain ... c'était un bel homme et il en garde encore toute sa prestance malgré le poids de l’âge et sa désorientation. Il aime sa femme. Et dans la salle à manger lorsqu’elle elle vient tout près de lui il aime la toucher, lui caresser la main et l’embrasser machinalement sur la joue.

Plusieurs fois par jour leurs corps se frôlent avec tendresse, se caressent, laissant vibrer, inconsciemment peut-être, ce qui survit de leur amour. Le plus dérangeant, c’est quand l’esprit désinhibé de Monsieur Letendre, enflammé par le désir de cet être qui lui est toujours si cher, lui fait exhiber son sexe en érection en plein milieu de la salle à manger ...

Chez nos anciens, le sexe on n’en parle pas. On n’en parle plus. Pas plus en maison de retraite qu’en hôpital gériatrique. Personne n’ose aborder ce sujet délicat et dérangeant. Pourtant, chez certains, les débordements de libido n’avaient pas été remisés au placard des objets trouvés... La sexualité chez les personnes âgées c’est LE sujet tabou. Un peu comme si, passé la limite acceptable du physiquement désirable, un être n’avait plus le droit d’aimer, de désirer, ou tout simplement d’avoir des relations sexuelles. Les galipettes c’est bon quand on est jeune ! Vieux, ça devient très vite “sale” voire pervers donc inacceptable. Le personnel soignant n’est cependant pas avare de détails et d’anecdotes croustillantes ou surprenantes sur la vie sexuelle de nos anciens ...!

Mais revenons en à notre Cantou et à Monsieur Letendre. Monsieur Letendre a ses habitudes. A ce stade démonstratif de son état d’excitation sexuelle, les filles ont bien compris où il voulait en venir. Sa femme n’est pas loin, on vient la chercher par le bras et on les emmène tous les deux, s’isoler tranquillement dans la chambre de Monsieur Letendre. On les emmène tous les deux pour qu’ils puissent satisfaire leurs envies. La nature reprend ses droits et il faut savoir la respecter. Leur escapade sexuelle est de toute façon orchestrée sous haute surveillance : on est dans un Cantou pas dans une maison clause ... Et une fois n’est pas coutume, l’étreinte tourne au fiasco ... Quelques minutes plus tard, on les retrouve tous deux en fâcheuse posture... Monsieur Letendre est assis par terre au pied du lit les pieds emmêlés dans son slip et le pantalon descendu sur les pantoufles. Sa femme, l’air hébétée, la coiffure en bataille, le soutien gorge à moitié dégrafé est allongée en travers du lit. Sa jupe à demi relevée a la fermeture coincée dans le corsage. Les ébats ont tourné court pour le couple Letendre. Sexe et Alzheimer ne font pas bon ménage.

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