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Journal d'un "être" soignant
16 février 2015

Quand un patient meure, les soignants pleurent.

Un dimanche de février. 9 h 30.
Tout le staff des soignants est à fond dans les toilettes du matin. Aile droite du SSR. Je bosse avec Jenny l’ASH (Agent de Service Hospitalier) faisant fonction. Elle bosse comme une pro en plus d’avoir le cœur sur la main. J’aime ce genre de collègue. Une pro. une vraie.

Soudain des cris. Quelqu’un qui court. Une fille hystérique entre dans la chambre double.
C’est Julia l’aide soignante roumaine.
Gant de toilette en main, je sursaute, tape contre l’adaptable et j'ai failli renverser la bassine d’eau.
Yeux effarés sur ma collègue Julia qui hurle dans un charabia inaudible. Je ne comprends pas la situation. Au début j’ai cru qu’elle nous jouait la comédie. Une de plus. Léger rictus. Mais non elle est blême comme un cachet de Lexomyl. “Venez ! Venez vite ! Je jette mon gant de toilette. J’arrache mon tablier plastique. Me tords le pied dans le fauteuil roulant de Madame Berthe. Évite la chute. De justesse.

On pousse la porte de la chambre. On courre. Ma collègue me suit. On courre. A perdre haleine dans le couloir. Les lumières rondes du plafond dansent et vacillent au rythme de mes enjambées ... Cœur qui bat. Les tempes tapent, tapent sur chacun de mes pas. On croise des têtes de patients interrogateurs aux sourcils froncés. Angoisse de ce que l’on va découvrir. L’infirmière courre avec nous. Elle est belle cette jeune infirmière. Belle avec ses yeux emplient de terreur. Dans la chambre 66 Lisa a déjà commencé le massage cardiaque. La patiente est à terre. Madame B. est toute bleu. Cyanosée. Inconsciente. Aréactive. Plus de pouls. Massage encore et encore. On se succède. Julia tient le masque à oxygène sur le visage de Madame B. On masse encore. Les gouttes de sueurs perlent sur les fronts. Des situations d’urgences j’en n'ai jamais vu. Juste en faux à la télé. Mais c’est pas le même trip. L’infirmière me dit de prendre le relais. Putain ... J’ai plus massé personne depuis l’école pendant l’exercice sur les soins d’urgence. Le massage je ne sais plus faire. Elle appelle le toubib de garde. Je masse. Culpabilité de savoir si je masse comme il faut. Je masse. Toubib appelé. Il met une plombe à venir. “Merde on la perd, on la perd ... !”. Défibrillateur. Électrodes en place. On ne choque pas. On masse. On ne réfléchit plus. On masse. Les images de mort s'entrechoquent dans ma tête. On est quatre autour de la patiente. L’infirmière a les yeux rouges. Deuxième fois que ce type de traquenard morbide lui tombe dessus en 6 mois ...
Lisa se mord les lèvres. Julia jure en Roumain. Jenny prie pour qu’elle se réveille. “Madame B ! Madame B. ! Allez je vous en prie Madame B. ! Putain de cœur !! allez repart, repart !!
On se dit que Madame B. est perdue.
Plus rien à faire. Le toubib arrive avec sa trombine de circonstance, son inutile stéto autour du cou.
On ne masse plus. Elle est morte.
AVC massif.
C’est le toubib qui l’a dit. Donc c’est vrai.
Silence.
On se regarde.
C’est fini.

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