"Escarre m'a tuer"

Madame Paget est là. Sur son lit. Allongée. Déprimée, diminuée. Quand on passe dans le couloir, devant sa chambre, ça sent l’escarre à plein nez. Virginie, la jeune infirmière, elle supporte pas cette saleté qui lui dévore le sacrum, à madame Paget. Ca lui donne envie de vomir. La plaie des services, la gangrène des alités. Elle est belle cette escarre. Belle à en illustrer les pages d’une revue médicale spécialisée … On y met le poing. Voire les deux si on est vraiment motivé. On peut même lui toucher le coccyx à Madame Paget. Ca a tellement creusé qu’avec un peu d’effort on lui verrait presque le nombril.

Chacun se donne bonne conscience : « elle est arrivée avec de toute façon.» « elle était déjà bien « entamée » la mémé … » « je sais pas où elle a chopé ça, mais c’est pas chez nous … » Non, c’est sûr. Pas chez nous. Ca vient d’ailleurs. On se regarde tous, nous les soignants, avec cet air attristé qui crie à l’injustice. C’est pas nous. Nous on fait pas du sale boulot. La prévention des escarres ça nous connaît. Effleurage à l’huile de soin. Changement de position toutes les 3 heures. Décubitus latéral gauche. Décubitus latéral droit. La chasse à l’escarre est ouverte. Pas de quartier. Attention, on tire à vue …

C’est pas de bol. Depuis qu’elle est arrivée chez nous, Madame Paget est alitée. Fin de vie. Soin palliatif. Elle glisse doucement. Un cancer. Encore un qui finit sa sale besogne. La grande faucheuse on l'entend venir de loin.

Elle ne mange même plus ses compléments alimentaires. Elle aime pas. C’est tellement mauvais ces trucs là. Faut être sacrément motivé … Il n’y a plus que Michael, mon collègue, qui essaie de lui refiler sa marchandise. Un vrai vrp du complément hyper protéiné. « Faut manger vos compléments, ce sont des protéines nécessaires pour vous aider à guérir. Ca aidera votre escarre à se refermer … » T’époumone pas Michael. Arrête de lui crier dans les oreilles comme un vendeur de foire. Elle est sourde la mère Paget. Le dernier sonotone qui lui restait s'est perdu dans le lit, disparu lors du dernier changement de draps. 

Pauvre madame Paget. Elle sait même pas ce qu’elle a aux fesses … A chaque fois qu'on la tournicote dans son lit elle gueule. Elle souffre le martyr. Comprend pas dit l'infirmière… Avec tout ce qu'elle ingurgite comme antalgiques … Ca devrait bien la calmer…

Il n'y a qu'à voir son air à chaque fois qu'on rentre dans la chambre. Elle en a marre de nous voir lui mater le postérieur avec des mines perplexes.

Elle feint parfois celle qui nous a pas vu rentrer. Je revois sa mine jaunâtre. Ses yeux tous ronds. Et son regard terrifié de bête que l'on traine à l'abattoir. Même sa mémoire commence à se faire la malle. Elle n'est plus en état d'être levée. Couchée, elle ne gardera de nous que la vue sur nos trous de nez dans nos belles blouses blanches immaculées.

Elle est morte un mois plus tard d'une probable ostéite. L'escarre l'a tuée. Et le cancer s'est fait doubler.

Comments

[Aethel]

Texte poignant, mais quelle solutio et il y en a t il une peut on apaiser la douleur ?? Ton histoire me fait penser à une résidente qui a fini sous morphine sans douleur supposer mais à voir sa tête je ne ne sais pas ce qu elle ressentait ....j espère qu elle est partie sereinement, apaiser j espère !!!!