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Journal d'un "être" soignant
4 janvier 2015

Histoire de Cantou

 

images-5Quand vous débarquez du monde des biens-portants et que vous mettez les pieds pour la première fois dans un Cantou pour faire votre stage de psychiatrie ça fait un choc. Oubliez toutes vos convictions cartésiennes et bien pensantes. Oubliez les belles visions du troisième âge que l’on ne voit que dans les spots télé. Oubliez les gentilles grands-mères gâteau, et les grands-pères tranquilles qui font sauter leurs petits-enfants sur leurs genoux... Là-bas point de tout cela...

Les Cantous on ne les montre pas à la télé à 20 h 30 les soirs de pleine audience. La déchéance physique c’est pas assez glamour. Trop dérangeant pour le monde de la jeunesse éternelle et de la beauté illusoire de voir comment il est possible de finir sa vie : vieux, dément et seul, dans le pire des cas...

La surprise est au rendez-vous au bout du couloir, là où vous ne l’attendez pas. Ne vous offusquez pas. Vous surprendrez des grands-mères déambuler nues dans des couloirs en faisant des gestes obscènes.Vous en surprendrez d’autres proférant des injures, le regard remplit de terreur et le visage couvert des selles qu’elles viennent d’ingurgiter en guise de petit déjeuner. Vous en verrez d’autres qui danseront (toujours dans les mêmes couloirs) en se trémoussant de façon scandaleusement outrancière, voire qui tenteront de vous griffer à l’occasion si elles trouvent que vous obstruez le passage.

Ou bien encore d’autres se mettront à hurler et fondre en larme sur leur chaise en implorant leur mère, leur père, leur sœur, leur frère, se demandant pourquoi ils ne sont pas encore venus les voir dans leur lieu de perdition. Ils ne sont pas venus les voir et ils ne viendront plus : ils sont morts depuis longtemps. Mais ça ils l’ont oublié.

Ce que vous ressentirez sera à la fois un mélange de tristesse intense, d’incompréhension, d’émotion à fleur de peau. Vous serez gêné par leur désinhibition ou terriblement émus par leur désarroi, vous aurez envie de les comprendre, de les consoler. Leur démence violente parfois incontrôlable pourra vous effrayer.

Je me souviens de ce matin où je chante la vie en rose d’Edith Piaf, en dansant avec Madame Martin tout en lui donnant sa douche. Pas le choix : c’est le seul moyen que l’on a trouvé pour qu’elle respire un peu la savonnette. Je chante encore et toujours sans m’arrêter. Car si elle s’aperçoit de l’astuce, elle va entrer dans une colère monstre et dans un déchaînement de haine hystérique, me saisir le bras et enfoncer ses dents dans ma peau jusqu’au sang ... Une aide soignante en a déjà fait les frais la semaine dernière ...

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