Le boucher

Stagiaire dans un cantou, voilà 15 jours que j’évite les coups de cet ancien boucher. Il voit en moi sa tête de turc du moment. Le matin il est adorable. L’après-midi il est en proie à des coups de sang impressionnants... C’est le seul homme du cantou et je suis le seul soignant homme. Alors, on me l’a confié. “C’est un cas intéressant pour ton stage”.

Je gère ses colères du mieux que je peux. J’évite les confrontations brutales. Il n’est pas très grand mais trapu et large d’épaules. Toujours souriant même quand il s’apprête à vous en mettre une. Une poigne de boucher je vous assure ça fait toute la différence ... .

Il a la tête du bon vieux père de famille. Il est touchant et très attachant. Et quand il vous touche avec son poing vous réalisez qu’il faut être costaud tout de même pour être boucher ... Avant la maladie c’était un brave homme, bon comme le pain. Généreux, bon vivant, un regard formidablement chaleureux. Des fois je le trouve à moitié nu sur sa chaise. Il a commencé à se déshabiller en plein milieu de l’après-midi. Il ne s’en souvient plus d’ailleurs. Il a enfilé 3 chemises l’une sur l’autre, et a consciencieusement rangé son peigne dans son slip. Un endroit logique pour un peigne.

Je le rhabille, je le rend présentable et beau, attristé de le voir ainsi dans cette déchéance inacceptable. Je lui permets à nouveau d’être fier d’être ce qu’il a toujours été. Il a oublié le nom de sa fille. Il a même oublié qu’il en avait une. Il a vaguement souvenir qu’il aimait faire de la moto. Il ne se souvient plus de son âge mais il peut me dire son année de naissance. Quand il mange son yaourt et qu’il l’a terminé il pique une colère monstre : Il demande encore un yaourth. Car pour lui le deuxième sera toujours le premier. Le premier yaourt il a déjà oublié qu’il l’avait mangé...