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Journal d'un "être" soignant
31 juillet 2015

Jamais deux sans trois.

Je n'ai pas oublié la tête du petit monsieur de la chambre 62. Celui que j'avais couché fièrement la veille. Ce jour là, je l'ai retrouvé mort dans son lit au petit matin.

Je n'ai pas oublié le visage de Madame D. qui est partie sans prévenir vers 10 h 00. Toujours ce même matin. Etouffée dans les selles que son colon bouché n'a pas voulu évacuer.

Je n'ai pas oublié le doux visage de monsieur V. Il s'est éteint seul mais apaisé. Sans attendre les siens. Le hasard de la vie a fait que j'étais à quelques centimètres de lui quand il a poussé son ultime souffle de vie. Vers 11 h 00. Encore ce même matin.

La mort n'a pas chômé : le recrutement va bon train. Quand elle part en balade, qu'elle nous emmène dans sa macabre farandole, on ne sait plus où notre esprit malmené nous emportera.

Ce jour là, le couloir de la morgue était plus saturé que l'autoroute du soleil au moment des grandes vacances. Il y a eu bousculade chez Saint Pierre : "Pardon monsieur mais c'est moi qui y suis passé le premier ! Alors respect !!

" Non. C'était moi le premier ! Vous n'avez pas vu l'heure sur l'étiquette attachée à mon gros orteil !!"

Il a fallu encaisser. Surtout moi. Ces émotions qui nous submergent m'ont peut-être dépassé.

Alors quelques larmes d'impuissance ont coulé.

J'ai fini dans le bureau de la psychologue qui m'a regardé compatissante et attendrie avec son joli visage d'ange et ses grands yeux noisettes.

Je l'ai regardé comme je pouvais avec mes yeux bleus noyés dans des flots lacrymaux.

J'avais la tête du gars qu'on aurait essoré comme un paquet de linge … La mort m'avait laissé le cerveau lessivé. Ca devait être le choc. Tous ces morts en moins de 3 heures je n'étais pas habitué. J'ai "buggué" quelques minutes comme un vieil ordi qui se met à ramer au moment de l'enregistrement …

La psychologue n'était pas plus inspirée. Elle m'a dit : "ce que vous vivez c'est dur."
Je lui ai répondu : "Non. C'est la vie."

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