La mort est mon amie

Au début, je maîtrisais mal mes réticences de voir ces vieux qui mourraient, parfois en direct, sous mes yeux. Ces départs pour un monde inconnu me faisaient peur. Cet étonnant métier d’aide-soignant m’a fait prendre conscience que je n’étais qu’une petite marionnette accrochée aux fils éphémères de la vie ... un simple mortel en fait.

Le soir en m’endormant, je fantasmais cette mort. J’ai vécu une période étrange où il m’arrivait souvent de me réveiller tétanisé, en sueur, effrayé par l’idée de ma mort. Car je réalisais avec effroi que cela allait m’arriver un jour et que ce jour là je ne maîtriserai plus rien.

Je revoyais les visages de ces vieux au moment où ils rendaient leur dernier souffle. Je revoyais toutes les phases de leur lente progression vers l’au delà. De leur peau qui changeait de couleurs, de leur visage comateux, de ces respirations bruyantes puis espacées. Puis de ce dernier souffle qui semble arriver mille fois et qui recommence. Puis enfin du dernier, que parfois l’on devine. On attend l’ultime respiration qui finalement ne viendra plus jamais. Puis enfin ce visage qui soudain se crispe quelques infimes secondes comme si il vivait intérieurement quelque chose d’intensément vivant. Et enfin, l’apaisement final. La vision d’un visage aux traits détendus et d’un corps parfaitement paisible. Une sérénité étrange mêlée de peine et de compassion, mais aussi de soulagement et de calme, vous enveloppe.

La mort finalement c’est magique.

Je suis heureux de l’avoir dompté. Car la mort n’est que la continuité de notre vie. Sous une autre forme. Aujourd’hui je n’ai plus peur de ma mort. Et encore moins de celle des autres. Ce qui fait peur ce n’est pas de mourir. Ce qui fait peur c’est d’imaginer que mourir est atroce, que mourir ça fait mal et que ça vous arrache les tripes tant la souffrance est forte. Ce passage apparait comme une épreuve insoutenable qui dépasse tout ce que l’on pourrait imaginer.